Le soir suivant mon frère habitait avec Anne dans sa nouvelle maison. Nous y faisions notre premier barbecue. Je sentais que j'allais beaucoup venir chez eux, que je ne bougerais pas des vacances, me sentant chez eux comme au bord de la mer. Le jour décroissait et j'étais comme face à un océane de lumière. Anne-Sophie et son mari étaient là aussi avec leurs enfants. Comme de bien entendu Luc avait relancé l'histoire des mots parfumés. Le contraire aurait été étonnant. Anne-Sophie en avait haussé les épaules. Et elle était repartie à expliquer à Anne et à son propre mari, Francis, ma folle jeunesse d'adolescente "adulée". "Mon père avait fini par faire changer le numéro de téléphone et nous inscrire sur la liste rouge tellement il en avait marre des garçons qui appelaient Stef...".

_ Que veux-tu, dis-je en prenant de grands airs, j'étais une star!

_ Tu parles... Tu en menais pas large. Le numéro de téléphonne papa l'a changé en partie pour toi. Tu étais harcelée constament

_ Cela ne m'étonne guère... dit Francis. Mais toi ça ne t'es jamais arrivée?

_ Il faut croire que je ne devais pas être aussi bien qu'elle, sourit ma soeur charmée par son Francis. Mais en plus celle-là elle a jamais été fichue de dire non... Un garçon lui fait la cours, ohhh elle embrasse pas! Par contre elle lui parle au téléphone, elle accèpte de boire un verre... Elle paie son entrée au cinéma, très classe! Mais elle y va quand même! Et c'est lui qui choisit le film... Stéphanie tu as passé ton temps à t'excuser de ce que tu es...

_ Elle a raison Stef, surenchérie Luc. Je te l'ai déjà dit. Et ça c'est vrai tu exagères... Tu aurais au moins pu les laisser te payer ta place de ciné!

_ Toi on t'a pas demandé ton avis... En plus tu détestais ça toi quand tu invitais une fille au cinéma et qu'après elle t'envoyait bouler...

_ Eh bien j'ai changé d'avis... Tu as quand même pas fait ça à cause de moi j'espère?

_ De quoi? Payer ma place?

_ Oui?

_ Le pire c'est que ça serait bien possible... dis-je.

Tout le monde éclata de rire. Moi aussi, mais c'était pour être dans l'ambiance. Et un peu à cause du Pastis.

_ En tout cas, dit ma soeur comme pour conclure, il est évident que tu n'as jamais su dire non...

_ J'ai appris depuis...

_ Mmmmmh.

_ Si? fis-je

_ Pas trop quand même...

_ Vous êtes sévères!

_ C'est toi l'institutrice qui nous dit ça?

Francis souriait. Tout ce qui est Anne-Sophie, donc sa famille aussi, il aime. Il est comme de la famille d'ailleurs. Anne pas encore. Mais elle me regarde, et là ça me gêne davantage qu'elle puisse avoir cette image là de moi. Bien que tout cela soit vrai et nullement exagéré. Mais c'est comme ça, j'aime pas passer pour la petite fille qui a eu tous les mecs à ses pieds. Pour qui tout cela a été facile. A qui rien ne s'est jamais refusé. Née avec une sorte de cuillère en argent au fond de la poche. Car je n'ai pas d'illusion, raconté ainsi c'est ce qu'on s'imagine. Même mes copines écoutent mes doutes, mes peines de coeur. Mais aux rares remarques qu'elles font, elles aussi, je sens qu'elles ont envi de me dire "Tu sais toi c'est rien. Avec ton physique le monde t'appartient!".

Je me demande si pour les autres filles jolies c'est ainsi. Si elles aussi on leur retire certains droits à se plaindre ainsi ou à aller mal. Si leur beauté rend moins sérieuses leurs souffrances à leurs proches. Je pense que c'est une autre des raisons qui explique que je sois aussi proche de mes frères et soeurs. Certes ils s'amusent de cela. Mais il ne me retire jamais le droit de souffrir ou d'aller mal. Antoine lui n'a jamais su faire cela. Il disait : "Ce n'est rien mon châton!". Même lorsque ça n'était pas rien. Je devais presque m'excuser d'aller mal.

"Stéphanie tu as toujours été trop gentille" je les entends répéter même de retour chez moi. La vie m'a-t-elle tant épargnée que cela par rapport aux autres? Ai-je tant de chance et aucun mérite à cela? Il me semble avoir réussi à zigzagué sans heurter les obstacles et avoir manoeuvré avec intelligence. Mais est-ce vraiment cela?

Les jours suivants d'autres billets "doux" arrivent dans ma boîte aux lettres.

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