Lorsqu'il venait chercher sa fille, de derrière la grille, j'avais supposé quelques fois que c'était à moi que s'adressaient ses sourires. Mais je n'avais pas fait plus attention que cela. Depuis que j'ai commencé dans le métier, j'en ai vu pas mal des pères me faire les yeux doux. Pas forcément des pères divorcés d'ailleurs. Des hommes mariés, des grands frères aussi. Quelques uns avaient osé un peu plus, demandant distraitement sous un prétexte inventé à la hâte si j'étais célibataire. D'autres encore m'avait proposé un restaurant ou un cinéma. Le plus inventif m'avait proposé de m'emmener voir un match du PSG en coupe d'Europe. J'enseignais alors à Trappes et je prenais le train à Montparnasse tous les jours pour me rendre à l'école. Tout n'était pas si dur qu'on l'imagine souvent. Lorsque j'avais commencé j'étais paniquée. Mais je m'y étais faite. J'y avais appris que je savais m'adapter partout. Lorsque Antoine m'emmener en soirée je trouvais de plus en plus grotesque ces gens que nous fréquentions et qu'il avait pour l'essentiel choisi pour moi. Je me souviens de quelques discussions, car il n'y en a jamais une seule de ces discussions là. Les amis importants d'Antoine avaient une vision très "gens important" de la banlieue. Et de Trappes en particulier. Ils me voyaient pour certains comme une étnologue. D'autre comme une petite fille qui avait voulu faire maîtresse et découvrait la réalité. Un m'avait analysé mes motivations profondes d'un baratin implacapble, faisant de moi une maso qui saute dans la cage aux lions parce qu'elle est le genre de fille que ça fait mouiller. "Alors finalement ça te fait bien mouiller?" avait-il demandé en guise de conclusion.

Au début je répondais, j'informais. J'argumentais. Mais je me rendais compte qu'ils étaient rares ceux qui changeaient réellement de point de vue. Pour des gens de gauche, soit disant humanistes, non raciste cela va de soit, et prêts à signer des tribunes dans le Monde pour menacer les gouvernements de pétitionen cas d'inaction, ils regardaient leurs "frères de banlieue" comme de petits sauvages bien gentils, de haut si possible, en en parlant avec des trémolos dans la voix : "Oh que j'aime ces jeunes! Oh comme Chevènement est méchant de les traîter de sauvageons! Oh comme il faut faire quelque chose! Les pauvres, abandonnés, oubliés... Vraiment nous visons dans une société égoïste!". Je passe sur la plus formidable comparaison que j'ai entendu, une sorte de parallèle formidable entre Trappes et le ghetto de Varsovie : "Si c'est pareil! On sait très bien ce qui se passe, mais on préfère fermer les yeux et laisser faire!".

A présent je suis dans une autre école. Et je ne m'en porte pas plus mal. J'ai le sentiment d'avoir fait ce que je devais. Si tant de choses sont exagérées concernant les ZEP, j'avoue que je pense comme tout le monde avoir le droit à des conditions d'enseignement plus faciles. Le public n'est pas le même. A part une collègue à peine plus agée que moi, les autres frôlent toutes la cinquantaine. Les jeunes on les envoie dans les quartier difficiles. C'est un teste. S'ils ne tiennent pas on sait alors qu'il faut les envoyer chez des psychiatres.

L'école où j'enseigne depuis deux ans ressemble à ces petites écoles comme on les a connues. Une cours vaste, arborée, des salles bien éclairées, des environs jolis à regarder. Presque tout dans les classes. Des parents très présents. Des enfants dans l'ensemble bien éduqués. Insolent parfois, plus rarement méchants. Moins d'enfants à problème par classe.

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