Le dispensaire trouvé sur une brochure info-sida. Je pars le matin de bonheur. "Je vais faire des courses" dis-je à mon frère. "Tu es sûr que ça vas Stef? Tu as l'air bizarre...". Il me couve. Là c'est presque désagréable. Parce que je lui ments. Que je lui raconte que j'ai mal dormi, mais que ça va. Bien sûr je sais ce qu'il s'imagine. Il doit penser que l'autre nase me manque, celui qu'il appelait "ton Antoine". Mais non, ce n'est pas lui. Il a l'air un peu rassuré mon grand frère. Il a qu'une trouille je le sens. Sa trouille c'est qu'à force de coups de fils l'autre me fasse revenir. Mais non, ça n'arrivera pas. Si je suis étrange ce matin, fatiguée par une nuit difficile pour trouver le sommeil, c'est à cause de ce ventre qui me tord. La peur de l'aiguille tout d'abord. La trouille qu'Antoine ait pu me refiler quelque chose. Si je l'ai quitté je sais que c'est également à cause de cela. Comment faire confiance à un homme qui écume des soirées remplies de filles sexy? Non, ça va, je ne craignais pas d'être plus laides qu'elle. De ce côté là j'étais sereine. Mais je connaissais mon homme. Apparaître au bras d'une jolie fille lui semblait important pour exister. Etre admiré des autres. Envié. Alors?

Alors je ne pouvais plus vivre en faisant comme s'il n'était pas ainsi. Comme si ce risque n'avait pas lieu de me tourmenter. S'il ne l'avait pas encore fait je savais qu'un jour il me tromperait par nécessité plus que par manque. Or rien ne pouvait me garantir qu'outre cette trahison il n'ajouterait pas le danger de ne pas se protéger. Donc de ne pas me protéger. La veille il m'appelle. Même larmes de crocodiles de celui qui veut récupérer celle qui en jetait le plus dans la déco de son salon. "Je t'aimerai toujours, même si tu me quittes... J'écrirai un livre pour toi...". Déjà cette idée fixe... "Je l'appellerai tout simplement... Son titre ce sera Stéphanie". Rire peut-être un peu cruel de ma part. Ou désintérêt complet pour ses promesses. Impossibilité de croire ses promesses. Il s'énerve : "Tu veux la guerre c'est ça?". Je mâche un chewing-gum : "Je ne veux rien moi!". Alors le voilà qui en revient à la méchanceté. "Mais tu te prends pour qui? Tu crois que je vais me mettre à tes pieds pour que tu reviennes? Mais j'ai pas besoin de toi moi! Tu crois quoi? Stéphanie tu imagines même pas le nombre de filles qui rêveraient de prendre ta place...".

_ La Terre entière rêve de baiser avec toi, fis-je

_ Tu ne crois pas si bien dire...

_ Tu m'as déjà trompée?

_ Qu'est-ce ça peut te faire maintenant?

_ Je veux savoir c'est tout. Savoir combien de petites salopes tu t'es tapé!

_ Tout Paris ma belle. Tout Paris! Toutes les parisiennes je les ai prises comme des chiennes!

_ Tu es minable.

_ ... et tu veux savoir quoi? La plus chienne de toute encore c'était toi! La plus grosse chienne de Paris Stéphanie.

Je raccroche. Je me jure de ne plus jamais décrocher. Si j'avais une arme j'irai le flinguer sans attendre. En attendant il m'a faite flipper. Et s'il disait vrai? S'il m'avait trompée? Si il avait baisée une de ces petites salopes séropositive sans le savoir? Sans capote bien sûr... Parce que le sida c'est toujours les autres qui l'attrappe, pas lui.

L'infirmier fait protester une autre fille. Un peu plus il me faisait passer avant elle en me faisant un grand sourire. "Ce n'est que parti remise" me fait-il après que j'ai dit que l'autre fille était effectivement là bien avant moi. Un peu plus tard j'entre enfin dans la salle de torture. "N'ayez crainte, je pique très bien, on sent à peine...". Il me demande de lui tendre mon joli bras. Il le prend. Relève ma manche avant que je n'ai eu le temps de le faire. Coup d'oeil sur mes seins. Je n'ai rien mis de provocant pourtant.

_ Vous craignez d'avoir attrappé quelque chose? Vous avez pris des risque?

_ Non pas particulièrement... Je veux contrôler c'est tout.

Il me fait un sourire genre "toi je ne te crois pas". Mieux il ajoute avec un sourire entendu : "Il faut se protéger quand on s'amuse...". Bon, il me prend pour une aventurière. Une fille facile. Mais on ne peut pas lui retirer qu'il pique bien.

_ Vous avez eu mal?

_ Non, pas du tout...

_ Vous voyez que je pique très bien...

Il est enchanté de sa formule. Et je parierai que ça n'est pas la première fois qu'il sort celle-là avec un petit air lubique se voulant coquin. Il étiquette. Sans me quitter du coin de l'oeil. Bon, si je veux me faire sauter je comprends que ma vie sexuelle ne s'est pas arrêté en quittant Antoine. Est-ce qu'il fait parfois cela ici? Serait-il capable de me sauter ici ce vicieux? Rien ne m'étonnerait.

_ Vous faites quoi dans la vie?

_ Enseignante.

_ Quelle matière?

_ En primaire. En CM1.

A son regard il semblerait que lui aussi ne s'imaginait pas du tout que je puisse avoir ma place dans cette profession. Il semble un moment chagriné.

_ Vous êtes en vacances alors?

_ Oui.

Mais il se rétablit très bien. Il me demande si sur tout ce temps libre nous ne pourrions pas... Pas quoi? Il me demande mon numéro de téléphone. Je le refuse gentiement en arguant que je suis venue parce que j'ai peur d'avoir le sida.

_ Vous avez eu des rapports avec une personne contaminée? s'inquiète-t-il soudainement.

_ Non. Mais j'ai appris récemment que j'homme avec qui j'étais de longue date aurait pu en avoir eu sans me le dire...

Je sais que je ne devrai pas lui dire. Mais je voudrai tant que malgré tout il me rassure. N'est-ce pas pour cela qu'il est payé non? Il me dit que je n'ai pas trop à m'inquiéter. A priori. Je sais apprécier le "à priori" à sa juste valeur.

_ Venez me voir quand vous viendrez chercher vos résultat si vous avez changé d'avis.

Dans toris mois je sais que je devrai refaire de nouveau le teste. Je me promets de trouver un autre dispensaire. Décidément je n'aime pas trop l'idée que se fait cet infirmier de me piquer.

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