Je fume en le regardant écrire. Je n’en ai plus rien à faire de ma peau. J’ai balancé Marie-Claire avec Elle et Biba. Je me sens plus libre. Je ne veux plus qu’on me dise ce qu’est une femme et ce qu’elle doit faire ou penser. Je ne sais plus quel grand auteur à dit à peu près ceci : « La religion et la littérature ont érigé une femme théorique ». Il ne devait pas encore avoir la télévision, ni les magasines féminin, ni les féministes à son époque sinon il les y aurait englobés aussi. J’ignore pourquoi en le regardant écrire je pense à cette entreprise systématique de démolition dont les personnes du sexe féminin font l’objet, avec cette foule de personnes se pressant depuis la nuit des temps pour définir qui nous devons être jusque sous la couette et la couleur de mes sous-vêtements. A être avec lui je découvre la sensation d’être appréciée pour autre chose que des détails.

On parle en regardant les gens dans la salle, le garçon qui s’affaire à nettoyer le percolateur, encaisser les tables, servir de nouveaux arrivants. La salle est grande, avec un étage fermé au premier et il n’y a pas grand monde. On regarde beaucoup au dehors la pluie qui redouble comme pour nous faire bien comprendre qu’elle ne compte pas encore s’arrêter. Mais on s’en moque, on est au chaud, je suis bien, et lui aussi je n’en doute pas. Il a à un moment cette phrase qui me donne le sentiment de tout comprendre : « Notre génération attend tout de l’amour… Parce qu’il n’y a plus rien… » déclare-t-il. A moins qu’il n’ait dit : « Notre génération attend trop de l’amour ». Je ne sais plus. Mais la différence n’est pas très importante. Je vois très bien ce qu’il veut dire. Chercher l’amour c’est mettre un rideau de fumée entre soit et l’autre. Le meilleur moyen de se rater.