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La tentation de l'ennemi

Il a effectivement posé des draps sur le lit dans la chambre d'amis. Anne-Sophie est derrière moi. Elle vient de finir un tour dans l'appartement de Luc. On ne peut pas la blâmer, elle est ainsi ma soeur, une vraie tour de contrôle. Elle n'est jamais méchante ensuite, elle ne juge pas, elle accèpte le libre arbitre de chacun, le droit de faire des erreurs. Avec Antoine par exemple elle n'en rajoute pas. Elle me l'a dit dans la voiture. "C'est la vie!". On fait tous des erreurs. On est plein de bonnes attentions, de rêves, d'espoirs... parfois cela se réalise. D'autres fois non. Elle a raison. Tout ne peut pas être rectiligne. Je le sais. Elle ne m'apprend rien. J'ai 28 ans, et même à 18 ans je cne crois pas que j'avais la certitude qu'il me suffirait de vouloir pour avoir précisément ce que je voulais. Non je ne suis pas triste. Je reviens à la ligne de départ peut-on croire. Mais en fait non. La vie continue. A 18 ans j'aurai pensé qu'à 28 ans on était déjà un peu vieille, mère, mariée... Propriétaire d'une maison. Mais non. J'ai 28 ans et celle de 18 ans a appris, elle a vécu, mais elle est toujours aussi jeune. Elle a bien plus d'expérience en tout. Elle a confronté ses croyance et ses espérance au monde tel qu'il est. Et je travaille. Cela fait la plus grande différence. Personne ne m'est nécessaire pour me nourir, avoir un toit. Lorsque je me révolte, me met en colère, cette colère est contre moi. Pas contre mon père. Antoine m'a vu en colère contre lui au début. Mais ensuite cela m'était passé, j'avais appris à ne pas en vouloir aux autres lorsque quelque chose n'allait pas. Enfin il n'y eu plus que de la lassitude. Ma soeur baille. Elle va aller dormir. Elle m'embrasse et je la raccompagne jusqu'à la porte. La porte se ferme.

Voilà, je suis seule. Comme je ne l'ai jamais étée. Pas chez moi bien sûr. Mais tout comme. Je suis chez mon frère. Et ce n'est pas lui qui va me sauter. Ni même me dire fait ci fait ça. L'appartement est vide. Je n'entends que le ronron du frigo. Il semble avoir un chat dans la gorge. Luc a fait de belles réserve de bière. J'hésite pour une Guniess, cette bière brune d'hiver comme il dit. Mais on est en été, et le frigo est rempli de Despé. Antoine plusieurs fois m'avait fait le reproche de ne pas avoir coupé le cordon... d'avec mon frère! "Tu regardes les Grands Prix de formule 1, tu chéris ta voiture, tu parles de bières comme une spécialiste... Et tu lis le journal!". Je l'avais regardé en ne comprenant pas. "Où est le problème? - Tu vois la dernière fois je parlais avec un journaliste... Dans une soirée. Un type très bien. Très brillant! [comme d'habitude] Il me disait que les femmes ne représentaient que 30% du lectorat des publications d'information... 30%! Tu te rends compte? - De quoi? - Il a été étonné que ma femme lise le journal... - Apparemment il n'est pas le seul... tu lui as dit que tu ne le lisais pas par contre? - Tu exagères...". En effet j'exagérais. Il lisait tout ce qui concernait la vie parisienne histoire de bien connaître tout ce petit monde sur le bout des doigts. Un peu comme le héros interprété par Mathieur Kassowitz dans le film Un héros très discret.

_ Il travaille dans quel journal ton ami?

_ Au Parisien!

J'éclatais de rire : "Mais c'est pas un journal le Parisien!".

Ces discussions sur ce que je devais être, ou ne pas être, avoir ou ne pas avoir, vers la fin nous les avions de plus en plus souvent. Au début Antoine ne s'était jamais plaint de mon frère. Aucun reproche quant au lien qui nous unissait Luc et moi. Antoine admirait même plutôt cela lui qui ne s'entendait guère avec son frère. Ils étaient en effet, bien qu'Antoine ne l'admit jamais, en rivalité complète l'un et l'autre pour être celui qui brillerait le plus aux yeux de parents qui s'ils avaient demandé un jour quelque chose de la sorte, ne demandaient plus rien de tel depuis longtemps. Je me souviens à l'époque où j'avais connu Antoine, en Seconde, qu'il était déjà en rivalité avec son frère de deux ans son aîné. Arnaud s'occupait du journal du lycée. Antoine avait embarqué quelques personnes pour créer un journal différent, reprochant à celui déjà existant de trop ménager les suséptibilités de chacun. Dans le langage de l'Antoine parisien qu'il est devenu par la suite, cela aurait donné "Trop d'académisme! Beaucoup trop! Et trop proche du pouvoir pour être véritablement innovant et devancer les grands changements!". J'avais rejoint cette petite équipe. J'y écrivais de très brêves nouvelles. Evidemment du coup j'étais hors de leurs débats "politiques", que je l'avoue, je trouvais puérils. Mais je me souviens des bouclages où en général en s'en prenant au journal concurrent il s'en prenait indirectement à son frère. La première fois que j'ai compris que j'intéressais Antoine, qu'il a tenté de me séduire, ce fut pour me dire que mes textes plaisaient beaucoup et que c'était selon lui tout à fait mérité. "Tu écris aussi bien que tu es jolie... Tiens, tu sais qu'on a vendu deux fois plus qu'eux?".

Antoine n'avait jamais compris que dans ma famille on soit soudé. Il expliquait cela à la disparition précoce de ma mère. "Cela vous a soudé... Mais il faudra qu'un jour tu sortes du cocon...". Je m'étais tuée à lui expliquer, après avoir douté et bien pesé ses paroles, cherché le vrai, que ma mère n'avait rien à voir là-dedans. Que grandir ne veut pas forcément dire détruire le passé, coupé des cordons ou pratiquer des amputations.

 

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Ecrit par stefie, le Lundi 24 Mai 2004, 16:51 dans la rubrique Premiers Pas.

Commentaires :

Dangenne
Dangenne
24-05-04 à 18:05

Très intéressant ton analyse des comportements. En effet des personnes ont besoin de renier pour se créer, tandis que d'autres opèrent tout autrement. Comme toi. Certains voient des luttes à livrer partout, la vie comme une suite de défis. J'avoue avoir moi aussi un peu d'agacement pour cela.

Très bon site, j'aime beaucoup. Félicitation Stéfie.


 
stefie
stefie
24-05-04 à 18:42

Re:

Merci de ton compliment. Heureuse de voir qu'il n'y a pas que moi à être agacée par ces manières.