Alcools et pétards. Musique en fond. Nous sommes tous autour de la table à nous regarder en chiens de faïence. La table fait vieux. Je regrette le réveillon du nouvel an de l’année précédente. Tristesse. Tristesse de me rendre compte que j’aimerai en cet instant, comme en tant d’autres, être seule, chez moi. Devant la télévision, un bon petit film français. Revoir par exemple Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants de Yvan Attal, avec Yvan Attal et Charlotte Gainsbourg. Il est vingt-trois heures et je mange le foie gras sans envie. Si j’étais avec Yvan Attal, je suis certaine qu’il en irait autrement. Mais Yvan n’est pas là. Que fait-il ? Je réussi à sourire de cette idée. Une fille, presque trente ans… Une femme donc… Une personnage de nouvelle ou de roman, elle me ressemble un peu… Elle réveillonne avec une dizaine de personne un 31 décembre. Et elle se demande à elle-même si Yvan Attal réveillonne seul avec Charlotte, ou entre amis, avec sa famille. Seuls en amoureux. Seuls avec leurs enfants ? Y a-t-il des bougies à leur table ? Ont-ils déjà démonté le sapin de noël ? Qui débouche le vin ? En face de moi, celui qui est là n’est pas Yvan Attal. Et il ne lui ressemble nullement. Un peu plus de la trentaine. Un piercing anneaux au sourcil. Je ne suis pas certaine d’aimer. Mes amis ont bien fait les choses. Même si je ne crois pas les apprécier comme d’autres amis qui sont absents, qui réveillonnent entre eux, et sans moi, ces amis là ont pensé à moi en invitant cet homme. Au casting il est pour moi. Dans le scénario il est écrit que je peux l’avoir. Alors je lui souris, même si pour l’instant je n’ai pas envie de lui, ni de personne d’autre. A part évidemment Yvan Attal… Je souris à Ernst car qui sait quelles seront mes dispositions une fois que j’aurais pris quelques verres de trop… Le sexe dirige toujours ma vie, et ce d’autant que ma vie me semble terriblement vide. Seul le sexe des hommes peut me donner ce sentiment, certes fugitive et passager, d’être comblée dans mon existence. Il ressert les convives comme un galant homme, et il ne m’oublie de me sourire du regard en remplissant le verre droitt devant moi.

Ernst me regarde me lever. Lucie a décidé de mettre le feu à cette soirée. Déclaration de survie surexcitée. Elle ne veut pas être vieille avant d’avoir vieilli. Elle a mis Quenn dans la hi-fi. Elle se révolte. Le son à fond évidemment. Elle pousse les fauteuils du pied. Elle est chez elle, elle fait comme il lui plait. Maxime et Debby se joignent à elle pour dégager la table basse et faire de la place. Je suis prise par la musique, enlevée par la voix de Freddy Mercury. Je suis entre deux eaux. Jeune, moins de trente ans, encore très désirable bien que passablement dépressive, j’attire le regard des hommes, et pas uniquement celui de Ernst. J’ai bien choisi ma jupe. Je me sens belle et fragile, moi qui veut tant être belle et forte. Il faut croire qu’on ne choisit que modérément son existence. Il est si difficile de connaître les conséquences de ses choix. Je me laisse prendre par la nostalgie. La musique de mes quinze ans. La musique d’une autre qui parfois me manque terriblement. Une jeune fille insouciante qui n’avait encore rien choisi. Je danse en jouant cette fille insupportable que j’étais. Fragile et allumeuse, sans s’en rendre compte évidemment. Jeune fille qui attendait l’homme de sa vie en ne doutant pas un instant qu’il serait obligatoirement un prince charmant. Ernst qui nous a rejoint au milieu du salon s’approche de moi sous le regard de ceux qui sont encore assis autour de la table. Il prend ma main. Ce soir il sera mon prince charmant. Je fermerai les yeux s’il le faut. Je ferme les yeux tandis qu’il me fait virevolter. Je me mords les lèvres en songeant à un geste hardi de sa part. La main du prince charmant sous ma jupe par exemple. Dans combien de temps m’emportera-t-il sur son cheval blanc pour me conduire sur un lit ?